Article publié par André Philippe dans la revue du CAW Procyon n°126 de janvier/février 2005
Qu’est-ce que le nombre A ?
C’est tout simplement le nombre de taches que l’on voit à la surface du Soleil, sans grossissement. On dit parfois « taches observées à l’œil nu ». Mais attention, l’œil n’est jamais nu pour observer le Soleil, il est impérativement protégé par un filtre adéquat.
« A » vient de l’allemand « Auge » qui veut dire « œil ».
Le plus souvent, A est égal à zéro ou 1. Parfois il est égal à 2 ou 3. Il peut atteindre, voire dépasser 4, mais c’est très rare.
Quel filtre utiliser ?
Il faut un filtre qui arrête les UV (rayons ultra violets) d’une part, et qui assombrit l’extrême luminosité de Soleil d’autre part. si ces deux conditions ne sont pas réalisées, il y a des risques de lésions irréparables pour l’œil.
Plusieurs filtres peuvent convenir :
Un filtre gratuit de « conception maison ». Lorsque je fais de la photo astro argentique en N&B, je garde les amorces de film qui ont donc été exposées à la lumière, développées (entre 400 et 800 ASA) puis fixées. Le film argentique est un très bon filtre pour les UV. Je choisis les morceaux de film avec lesquels j’arrive à observer le Soleil pendant plusieurs minutes sans aucun éblouissement. Je jette immédiatement les autres qui ne sont pas assez sombres. Je confectionne enfin mon filtre « SUN », en insérant 36 mm de cette amorce de film dans un « cache passe-diapos ». J’ai toujours ce filtre très pratique dans mon portefeuille. Plus tard, je change de filtre à la moindre rayure ou piqûre. Attention : ne pas utiliser les amorces de film diapositives, même avec plusieurs épaisseurs, car ce type de film ne filtre pas correctement les UV.
Note de la rédaction : cette article est paru à l’époque de la photo argentique, quand le numérique n’était pas encore tellement d’actualité.
On peut utiliser une feuille Astrosolar de Baader (Grade ND5), qui s’achète chez tous les vendeurs de matériel d’astronomie. Je conseille de « monter » un morceau de cette feuille sur un cadre en carton par exemple, en évitant les pliures (mais quelques ondulations ne sont pas gênantes). Personnellement, je n’aime pas ce filtre pour deux raisons : premièrement l’image est bleue (je la préfère marron ou verte) ; deuxièmement, il faut en changer dès la première avarie.
Depuis l’éclipse solaire de 1999, j’utilise aussi une « paire de lunettes spécial
éclipse » : une bonne paire en acétate traité dans la masse. Remarque : d’infâmes lunettes étaient également proposées avec lesquelles je défie qui que ce soit d’observer des taches solaires. Avec ces mauvaises lunettes, on croyait voir la couronne solaire même en dehors de l’éclipse ! Avec les « bonnes » lunettes, l’observation est confortable. Je trouve cela très pratique et j’ai toujours une paire de lunettes dans mon sac à dos pour mes nombreuses « escapades nature ». Pour des raisons de sécurité (ou de responsabilité, ou de législation ?… je ne sais pas …) les fabricants ont indiqué « lunettes à usage unique ». Personnellement, j’ai fait un petit stock de ces lunettes et je les utilise, à mon avis sans danger, tant que le film n’est pas endommagé.
Si on observe chez soi, le nec plus ultra est un verre de soudeur à l’arc, de grade 14, que l’on peut monter sur un carton ou un contre plaqué fin d’assez grande surface, avec éventuellement une forme pour le nez, et que l’on tient bien en main. Ce type de filtre a plusieurs avantages : le verre est traité dans la masse (donc insensible aux rayures ou aux piqûres) ; de plus l’observation peut se faire en vision bi oculaire. L’idéal est un verre très sombre de grade 14, malheureusement difficile à trouver chez les quincailliers où très souvent la gamme s’arrête au grade 12 (sauf sur commande spéciale, mais hélas jamais à l’unité). On peut, à la rigueur utiliser le grade 10 ou 11 alors en complément avec une paire ordinaire de lunettes dite de soleil. Attention : une paire de lunettes de soleil, même très foncée (par exemple pour glaciers) ne convient pas pour fixer le Soleil.
Comment observer ?
Premièrement je conseille d’observer toujours les deux yeux grands ouvert. Si on a un filtre de grande dimension ou une paire de lunette spécial éclipse, il est très confortable d’observer en vision bi oculaire. Dans le cas contraire, on observe d’un seul œil mais sans fermer l’autre, par exemple en le pochant d’une main. En effet, cligner du deuxième œil empêcherait le premier d’être opérationnel à 100%.
Deuxièmement, j’ai constaté que l’œil n’a pas forcément la même sensibilité dans toutes les directions. Aussi pour « traquer » des taches aussi faibles qu’il est possible, j’observe un moment la tête droite, puis un moment la tête inclinée d’un côté, puis un moment inclinée vers l’autre côté.
Au départ, c’est-à-dire avant le début de mes observations systématiques, jai un peu « triché » en ce sens que je me suis forcé à voir des taches faibles après les avoir observées à la lunette de 60 mm. Ce n’est pas vraiment de la « triche » : disons que c’est un excellent moyen pour exercer l’œil à ce type d’observations. Actuellement j’observe le nombre A directement avant l’observation du Wolf. J’observe également le nombre A, chaque fois que possible, même si je ne suis pas chez moi : au travail, en promenade, en vacances …
Ma petite histoire du nombre A.
Mes premières observations du Soleil remontent à 1980. J’ai le relevé systématique du « nombre Relatif de Wolf » à partir du 25 juin 1982, avec environ 200 observations par an. Mes relevés sont assez homogènes puisque j’ai toujours utilisé le même instrument et la même combinaison optique : lunette de 60 mm de diamètre et 700 mm de focale, un filtre objectif pleine ouverture de pouvoir transmissif 1/4000, le renvoi coudé, un oculaire ortho de 18 mm (G= x 38,9), un deuxième filtre en bonnette sur l’oculaire de « conception maison » de grade 3, 4 ou 5 selon la transparence du ciel (le plus souvent 5).
Assez vite, je me suis rendu compte que les grosses taches étaient perceptibles à « l’œil nu ». Je m’y suis donc intéressé à titre personnel, sans aucune arrière pensée, tout seul dans mon petit coin d’Alsace. C’est à partir de mars 1989 que j’ai consigné ces observations de façon systématique sur mes feuilles de relevés, dans une nouvelle colonne notée « O;N » comme « Œil Nu ».
La même année, en discutant en Assemblée Générale du GFOES (Groupement Français pour l’Observation et l’Etude du Soleil); un membre (je ne me rappelle plus son nom, j’en suis désolé) m’a conseillé de me mettre en relation avec un dénommé M. Keller à Zürich, qui semble-t-il s’occuperait de ce type d’observations. Somme toute, c’était une information assez floue. J’ai donc pris contact et effectivement, M. H.U Keller était très heureux d’accueillir le premier français comme membre du « réseau d’observateurs A-Netz ». (Voilà pourquoi « A » et non pas « O.N », Zürich étant en Suisse Allemande).
Pour l’Assemblée Générale du GFOES, organisée par le CAW à Wittelsheim les 6 et 7 juin 1992 (3 ans plus tard), j’ai invité M. Keller à venir nous présenter ses travaux. Il nous a « concocté » une conférence des plus intéressantes (en allemand mais traduite simultanément par M. Jean-Luc Graff, membre du CAW). C’est à cette AG que le GFOES a décidé de se « lancer » dans l’observation d A. quatre mois plus tard, à partir d’octobre 1992, le nombre de A est déjà disponible auprès du GFOES, avec environ 10 observateurs.
L’excellente conférence de M. Keller a été publiée in extenso en 1993 (en version française) dans Hélios n°7, ainsi que dans Procyon N°57.
Motivations pour l’observation du A.
Keller nous expliquait, à l’époque, une double motivation du réseau A-Netz.
Premièrement : vérifier s’il n’y a, ou pas, une corrélation entre les observations du A et du Wolf. Cette étude ne fait aucun doute. La corrélation est bonne, voire très bonne :
R = 150 A + 10 (A-Netz, 1992)
W = 185 A + 9 (GFOES, 2004)
Remarque : R et W désignent tous les deux « le nombre Relatif de Wolf ».
Deuxièmement : au vu de cette très bonne corrélation, M. Keller émettait la perspective de pouvoir remonter dans le temps et déterminer a posteriori une courbe, ou au moins une tendance, de façon plus ou moins parcellaire, de l’activité solaire antérieure à l’observation du nombre Relatif de Wolf. Pour cela, il faudrait étudier les récits d’observations de taches à l’œil nu avant l’apparition de la lunette astronomique. On cite souvent les chroniques chinoises qui sont riches dans ce domaine. Bien que plus rares, il ne faut pas oublier tout de même les observateurs du monde occidental. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître l’avancement actuel de ses travaux …
Ce jour (en 2005, ndlr), le réseau A-Netz n’est plus dirigé par M. H. U. Keller, mais par Fritsche Steffen.
Une nouvelle perspective ?
Après plusieurs discutions au sein du Club Astro de Wittelsheim, et surtout grâce aux conférences de M. Jean-Martin Meunier, j’évolue vers une nouvelle approche de l’influence du Soleil sur la Terre. Bien que ce soit encore intuitif, je suis de plus en plus persuadé que l’action du Soleil doit être plus intimement liée à la structure du vent solaire qui balaye la Terre qu’aux nombres de Wolf et A. La teneur du vent solaire en particules diverses (électrons, protons, autres …) devrait dépendre intimement de la structure des taches. Une énorme tache de type H ou un énorme GTS de type F, n’apportent probablement pas les mêmes contributions au vent solaire que des taches de types A ou B, selon la classification de Waldmeier. Les centres très actifs semblent apporter plus de protons. On pourrait donc avoir des vents solaires très différents tout en ayant des nombres de Wolf identiques ou presque.
J’ai donc envie d’entreprendre une nouvelle piste de recherche, si possible avec plusieurs observateurs. Introduire un nouvel indice que je propose d’appeler « indice A' ». cet indice serait égal à zéro ou 1. On noterait 1 chaque fois qu’il y a une tache noire visible sur le Soleil à l’œil nu, mais uniquement au premier coup d’œil, c’est-à-dire dans les premiers dixièmes de seconde d’observation. Si au lieu d’être observateur isolé, on collecte les données de plusieurs observateurs, on noterait
A’ = 1 uniquement si au moins la moitié des observateurs note A’ = 1, sinon on noterait A’ = 0. Dans le cas où A’ = 1, on noterait la date du passage de la tache au méridien central du Soleil. On essayerait par la suite de trouver des corrélations sur Terre, 5 à 7 jours après cette, le temps que le vent solaire vienne baigner notre planète. Je n’a aucun a priori, toutes les pistes sont envisageables : aurores, tempêtes, séismes, naissances, névroses, etc. …la liste n’étant pas limitative, la météorologie et la séismologie étant probablement les sujets les plus attirants. Si d’autres membres du GFOES ou du CAW ou d’ailleurs, sont attirés par cet aspect de l’observation et des éventuelles corrélations, on pourrait en reparler ultérieurement. Et pourquoi pas tenter l’expérience ? d’autres associations sont peut-être également intéressées …
Vous l’aurez bien compris : avec l’indice A’, il ne sera pas question de faire des moyennes quotidiennes ou mensuelles, ni à plus forte raison un lissage sur plusieurs mois. J’ouvre ici une parenthèse pour rappeler que le nombre A quotidien du réseau A-Netz, avant que n’intervienne le GFOES en 1992, n’était pas la moyenne des A observés, mais était pour chaque jour un nombre entier : le mode de la série des observations du jour, c’est-à-dire le nombre de taches observées par le plus grand nombre A quotidien comme étant égal à la moyenne des observations, au centième le plus proche.